#21 – Comment intégrer l’UX writing dans une équipe design ?
Comment intégrer un UX Writer dans une équipe design est une question qui revient assez souvent. Avec Paul Thanasack, Head of UX chez Adeo, nous échangeons sur le modèle que l’équipe a adopté.
Si vous êtes designer, j’espère que cet épisode va vous aider dans votre quête :).
Internet a été conçu pour partager de l’information et échanger, mais pendant plusieurs années, on a perdu de vue l’importance des contenus. On a perdu de vue l’humain, les échanges, les conversations. La forme a pris le pas sur le fond.
Et puis progressivement, des métiers comme l’UX design, l’UI design, et l’UX research ont émergé.
Quand on conçoit une interface web ou mobile, il est maintenant logique de constituer une équipe design.
Sauf que. On a beau faire une interface orientée utilisateurs, si on n’a pas les bons mots qui vont guider ces utilisateurs, qui vont les encourager à passer à l’action, qui vont parler comme eux, qui vont les rassurer, les féliciter… Cela va être difficile de proposer une interface utile et utilisable.
Pour vous donner un exemple plutôt excessif, imaginez Facebook ou LinkedIn sans mots.
C’est parce que les designers se sont rendus compte de l’importance des mots et qu’ils n’avaient pas les compétences nécessaires en écriture, que le métier d’UX Writer a émergé ces dernières années.
La place de la rédaction UX est encore timide aujourd’hui, mais les grands groupes s’en emparent progressivement.
À l’instar d’Adeo, la maison mère de Leroy Merlin.
Les designers ont fait remonter le besoin d’avoir une aide pour trouver les bons mots.
Alors, au lieu d’interviewer l’UX Writer arrivé il y a quelque temps, je me suis dit qu’il était intéressant d’avoir le point de vue d’un UX designer.
J’ai donc échangé avec Paul Thanasack, Head of UX chez Adeo, pour :
- Comprendre comment a émergé le besoin
- Comprendre pourquoi les équipes design ont fait appel à un UX Writer
- Savoir comment il a été intégré dans les équipes design
- Savoir ce que cela a changé pour les équipes et les utilisateurs
Comment intégrer un UX Writer dans une équipe design est une question qui revient assez souvent. Alors, si vous êtes UX designer, j’espère que cet épisode va vous aider dans votre quête :).
Bonne écoute / lecture !
Notes explicatives
- Zoning : le zoning détermine la structure des pages du futur site web. Sous forme de schémas très simples, bien souvent en noir et blanc, il indique l’emplacement des principaux éléments d’une page : menu, logo, visuels, barre latérale, zones de texte, etc.
- Retail : activité de commerce de détail, de revente de biens.
- Pure player : entreprise qui commercialise ses produits uniquement en ligne.
- UI (UI designer) : concepteur d’interface utilisateur, il travaille sur le design graphique d’une interface web ou mobile.
- Feature team : équipe qui collabore autour d’un même produit, d’une fonctionnalité précise. Exemple : chez Leroy Merlin, une feature teams va travailler uniquement sur une partie du tunnel d’achat.
- Scrum Master : il s’assure de l’implication des membres d’une équipe design et les aide à franchir les obstacles qu’ils peuvent rencontrer.
- Développeur back-end : contrairement au développeur front-end, celui-ci va s’occuper de développer, de coder, des éléments non visibles sur une interface web ou mobile, mais qui ont toute leur importance pour un bon fonctionnement. C’est en quelque sorte la partie immergée de l’iceberg.
- POC (proof of concept) : preuve de concept, pour montrer la faisabilité d’un projet, d’un produit.
- Design thinking : méthodologie transversale pour transformer une idée en action et en prototype, pour répondre à un besoin ou une problématique identifée.
- Product Owner : chef de projet d’un produit, une sorte de chef d’orchestre entre les équipes design, technique et marketing. Il s’assure que le produit répond bien aux besoins des utilisateurs, tout en priorisant les actions et le développement de fonctionnalités.
Ressources de l’épisode de podcast
- C’est Gladys Diandoki, interviewée il y a quelques temps, qui m’a soufflé l’idée de ce nouvel épisode.
- Si vous souhaitez échanger avec Paul Thanasack, rendez-vous sur LinkedIn.
Échanges avec Paul Thanasack : Intégrer l’UX Writing dans une équipe design
Bonjour Paul, je suis ravie de t’accueillir sur le podcast. Merci beaucoup d’avoir accepté mon invitation.
Paul, tu es Head of UX chez Adeo services. Sur les précieux conseils d’une précédente invitée du podcast, Gladys Diandoki, j’ai trouvé hyper intéressant d’échanger avec un designer qui travaille depuis peu avec un UX Writer. Et donc d’avoir ton retour d’expérience, de savoir ce qu’un UX Writer apporte à une équipe de designers et à une entreprise.
Mais avant d’aborder ça, je voudrais en savoir un peu plus sur ton parcours. Quel a été ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?
Ça fait presque 10 ans que je suis UX designer. J’ai fait une école de communication à Lille qui s’appelle l’ISTC, où j’ai été diplômé en 2011. Après ça, j’ai atterri en agence mobile en tant que chef de projet Web. Ce qui me plaisait le plus dans un projet Web, c’était vraiment la partie conception, zoning… Je ne savais pas donner un nom à ce que je faisais, mais c’était la partie qui me plaisait le plus.
Quand j’ai changé d’emploi, une petite année après, j’ai été recruté par une entreprise qui s’appelle Altima, en tant que chef de projet Web pour des applications collaborateurs.
Puis, j’ai travaillé à plein temps pour AXA pendant 3 ans. Je faisais de la conception et du prototypage, et j’ai commencé à savoir que je faisais de l’UX au bout d’un an de mission.
J’ai vraiment compris que c’est là où je voulais investir mon énergie.
Ensuite, je fais du e-commerce, du retail.
Quand j’ai fait le tour de l’agence, j’ai voulu aller à l’étranger. J’ai rejoint Atecna à Montréal. J’y ai travaillé un an et demi en tant qu’UX sur des outils de télécommunication. J’ai participé au lancement d’un opérateur mobile en pure player, qui s’appelle Fizz.
J’ai aussi participé à la transformation digitale d’une entreprise qui s’appelle Vidéotron.
J’ai ensuite voulu rentrer en France, puisque ma famille me manquait. Et quand je suis rentré en France, j’ai été embauché par Capgemini, en mission chez Leroy Merlin en tant que lead UX.
Je viens tout récemment de signer pour rejoindre Adeo, qui est le groupe qui détient entre autres Leroy Merlin et différentes enseignes. Je rejoins donc le groupe Adeo en tant que Head of UX, où je vais m’occuper de toute la construction d’offres et des outils collaborateurs.
Donc, tu t’es bien fait débaucher par Adeo !
C’est plutôt moi qui cherchait à internaliser une structure. Depuis presque 10 ans, je fais du consulting. Je sentais que j’avais assez d’expérience pour travailler pour une seule enseigne, un seul projet. C’était soit ça, soit être freelance. Mais avec le contexte, c’est vrai que le freelance, ça m’a un peu refroidi. Et je trouve qu’Adeo est une très belle entreprise. Je suis content de pouvoir me dire que pendant les prochaines années, je vais me lever juste pour un sujet, et ne pas me prendre la tête sur d’autres choses.
Je comprends. Et donc, ton nouveau rôle, c’est à peu près le même que quand tu étais chez Capgemini ?
Chez Leroy Merlin, je gérais le studio UX/UI, en binôme avec un lead UI, qui s’appelle Jean-Baptiste Lecomte. On gérait l’ensemble des designs UX et UI de Leroy Merlin France. Donc, on avait la responsabilité de l’expérience utilisateur sur le site web, sur l’application mobile et aussi sur les outils d’aide à l’achat (des outils 3D cuisine, salle de bain).
Là, je rejoins Adeo, sur le BtoB. Cela concerne tous les outils utilisés par les chefs de produit, les responsables d’achats, les category managers en entreprise et dans les enseignes pour créer l’offre, définir, référencer des produits, gérer les prix, et aussi gérer toute la relation avec les fournisseurs.
Si je veux faire entrer des nouveaux produits dans mon enseigne, je fais un appel d’offres. Tous les fournisseurs peuvent y répondre. Comment gérer toute la contractualisation par exemple ? Comment améliorer le portail fournisseur ?
D’accord.
Rentrons dans le vif du sujet : Adeo a souhaité faire appel à un UX Writer, pour Leroy Merlin. C’était quoi le besoin à l’origine ? C’était quoi, la problématique ? Pourquoi avez-vous fait appel à un UX Writer ?
Chez Leroy Merlin, on travaille en feature teams : plein d’équipes travaillent sur différentes parties du site Internet. Dans chacune de ces équipes, il y a des profils types : un product owner, un business owner, des développeurs front et back, un UX et un UI designer. On s’est rendu compte que, dans chaque équipe, la manière de gérer le wording était différente.
Personne n’avait cette mission d’être le garant du wording des interfaces. Parfois, c’était l’UX, parfois l’UI ou le product owner. Ou même les développeurs qui intégraient les maquettes géraient ça à leur sauce.
Comme ce rôle n’était pas identifié, chacun faisait à sa manière. La conséquence : une interface décousue pour l’utilisateur final.
Un exemple très simple : un bouton de validation peut avoir des wording différents, même s’il s’agit de la même action et de la même conséquence. C’est juste qu’il est sur des pages différentes et donc développé par des équipes différentes. Et potentiellement, elles ne se sont pas parlé.
En plus de ça, on perd beaucoup de temps dans le processus de design, parce qu’il y a plein d’allers retours sur le micro wording. Ça empêche de réfléchir sur le fond de ce qu’on veut faire.
À l’époque, j’étais lead, et en même temps je travaillais dans une des équipes qui avait la responsabilité de toute la navigation sur le site et les pages « magasin ». Avec la chef de projet métier, Jessica Dourcy, on s’est rendu compte de tout ça, qu’il n’y avait pas vraiment de personnes dans l’entreprise dont c’était le rôle. C’était un peu le bordel (rires).
On perdait beaucoup de temps à revenir sur les wording. Lors des réunions d’une heure de revue d’interface, on parlait pendant 30 minutes de wording, alors que ce n’était pas du tout l’objectif.
Jessica et moi avons voulu pousser l’arrivée d’un profil d’UX Writer, pour essayer de palier à ça.
Vous connaissiez déjà ce métier ? Vous en aviez déjà entendu parler ?
J’en avais entendu parler, pas forcément sous ce terme, et je n’avais jamais travaillé avec ce profil. Mais j’avais travaillé avec beaucoup de rédacteurs. Je comprenais bien la place qu’avait le wording dans un process de design.
Il me semble que Jessica avait déjà travaillé avec des UX Writers. En tant que chef de projet métier, elle a amené cette solution et a orienté vers ce type de profil.
Est-ce qu’il a fallu convaincre en interne pour faire appel à ce profil ?
On a directement parlé au directeur de la charte, Christian Mairesse. Il gère aussi bien la charte graphique que la charte rédactionnelle. On lui a dit qu’en travaillant sur des parcours digitaux, on sentait un manque de maturité en termes d’expertise. Il a tout de suite été d’accord avec nous. Il a été très moteur pour nous aider à trouver la bonne personne.
Ensuite, on a parlé au directeur e-commerce, la personne à qui je reporte, Julien Leblond. Il a fallu le convaincre de tester cette compétence, mais ça a été rapidement validé de faire un POC. Il fallait montrer derrière que ça avait un réel apport.
Est-ce que l’ensemble des designers ont été informés de cette volonté de faire appel à un UX Writer ? Est-ce qu’ils ont été sensibilisés ?
Jean-Baptiste (le lead UI) Jessica, Christian et moi avons écrit la fiche de poste. On a fait un appel d’offres pour avoir différents prestataires et recevoir différentes candidatures.
Le collectif UX et UI était au courant qu’une nouvelle compétence allait être testée et qu’ils allaient monter en compétences sur ce sujet-là aussi.
En fait, le sujet venait surtout des équipes au départ. Ce sont elles qui nous ont remonté ce besoin. Après, on l’a vu aussi dans les réunions auxquelles on a assisté. Mais les designers étaient hyper preneurs et contents de savoir que ce profil d’UX Writer allait arriver.
Tu parlais de la fiche de poste : est-ce que tu te rappelles ce que vous y avez mis ? De quelles compétences aviez-vous besoin ?
Au-delà de définir des compétences, on a surtout défini un scope pour le POC.
Ça s’articulait en trois phases.
La première phase était de faire un audit des principaux parcours utilisateurs qu’on avait, pour voir un peu s’il y avait des choses à améliorer et identifier rapidement des améliorations pour nous remettre à niveau. Parce qu’on savait déjà qu’il y avait des failles dans la manière dont on avait pensé les wordings.
Ensuite, il fallait écrire un guide rédactionnel, à partir de la charte éditoriale, pour qu’on ait tous des guidelines.
Le but n’était pas que quelqu’un arrive et effectue le travail. Pour nous, c’était vraiment que quelqu’un fasse un audit et nous permette de monter en compétences.
La mission de l’UX Writer était donc de faire un audit pour comprendre quels étaient les enjeux, proposer des recommandations et ensuite commencer à nous former en écrivant un guide de bonnes pratiques.
La dernière étape, c’était donc la formation. C’était ce qu’on avait imaginé au départ.
Au départ et finalement, ça a changé. On pourra en parler.
Quand avez-vous établi le besoin ?
C’était en début d’année 2020. On en a parlé début janvier, il me semble. L’UX Writer est arrivé en février. On a travaillé côte à côte pendant un mois, et puis après, il y a eu le confinement.
Tu parlais d’appel d’offres : ça consistait en quoi et quels étaient vos critères de choix ?
On a établi la fiche de poste, on a écrit les compétences que l’on recherchait. Ce n’était pas uniquement quelqu’un qui était fort en rédaction, mais c’était quelqu’un qui avait une très bonne connaissance du process de design. Le mot « UX » était très important. Ce n’est pas juste de la rédaction. C’est quelqu’un qui comprend toutes les phases du design thinking. Ce n’est pas quelqu’un qui va proposer des wording uniquement à la fin, c’est quelqu’un qui va aussi accompagner ou détecter si c’est le fond qui pèche, et si, éventuellement, le fond doit être revu avant de proposer des wording appropriés.
On a donc mis tout ça sur papier et on a publié cette offre. On a récupéré 4-5 candidatures, je pense, pour faire passer des entretiens et sélectionner un candidat.
Qu’est ce qui a fait la différence pour sélectionner l’UX Writer, Romain ?
Oui, Romain Bigache.
C’étaient les références qu’il a pu montrer. On a vu les guides qu’il avait écrit, on aimait beaucoup l’approche assez concrète qu’il apportait. Et puis, il y avait le côté relationnel aussi. Parce que quelqu’un qui arrive au sein d’une entreprise comme celle-ci, il faut qu’il soit assez bon communicant, qu’il sache s’imposer lors des échanges. Dans une entreprise comme Leroy Merlin, il y a beaucoup de monde et tout le monde a un droit de parole, ce qui est normal (rires). On avait vraiment besoin d’un expert.
Donc à la fois ses références, sa personnalité et ses capacités de communication ont fait la différence.
Lorsque vous réfléchissiez au poste, votre choix s’est tout de suite porté sur l’appel à un freelance ? Ou vous aviez également hésité à faire appel à une agence ou à embaucher quelqu’un ?
En interne, je pense qu’on n’était pas assez matures sur le métier. Et puis, sur le marché, il n’y a pas tant d’UX Writers que ça en France. Donc recruter en interne du jour au lendemain, ce n’était pas forcément une volonté.
Aujourd’hui, je pense qu’on est plus matures, on pourrait recruter en interne. Mais on avait besoin de ce temps pour faire un POC, pour être sûr de ce dont on avait besoin, pour être sûr d’avoir la bonne compétence au bon moment.
Après, faire appel à une agence… Moi, je viens de l’agence aussi, et le travail d’UX à distance, je n’y crois plus trop. Ou alors c’est une ressource à plein temps qui est chez nous.
Donc, les choses ont fait que c’est en freelance que l’on a choisi. Il y a des agences qui ont répondu, mais le profil de Romain nous plaisait bien. Il est à plein temps, à nos côtés.
Comment s’est passée son intégration ?
Je lui ai fait rencontrer le collectif UX/UI parce qu’il allait beaucoup échanger avec eux. Ensuite, on a identifié le gros parcours du site Leroy Merlin, sur lequel Romain allait d’abord travailler. Il s’est rapproché de tous les interlocuteurs qui travaillaient sur ce parcours, pour essayer d’avoir une compréhension de l’interface globale, mais aussi de toute la complexité organisationnelle qui se cache derrière.
Je voulais qu’à l’issue de son immersion, il comprenne s’il y a des soucis sur le site web, à quoi ils sont dus et pourquoi est-ce qu’on en est arrivé à mettre un tel wording sur le site, et pourquoi ça n’a pas été fait autrement. Si tu questionnes les gens, tu te rends bien compte qu’on avait tous la volonté de faire quelque chose de correct, mais il y a eu beaucoup trop d’informations ou bien ça a été trop complexe.
Il a donc vraiment fait le tour et échangé avec les équipes projet. Il a aussi passé beaucoup de temps avec le directeur de la charte pour s’approprier toute l’identité de la marque, comprendre les valeurs et en retirer des vrais principes de rédaction.
Il a donc eu deux pans d’immersion qui lui ont pris un bon mois, voire un mois et demi.
Comment a-t-il été accueilli par les équipes ?
Au début, je voulais vraiment qu’il puisse se concentrer sur cette phase d’immersion avant de commencer à mettre les mains dans la formation. Une fois qu’il avait bien compris, on s’est demandé comment est-ce qu’on pourrait former les équipes.
Mais avant de former les personnes, pour moi, c’était hyper important qu’on réussisse à prouver par l’exemple. Il ne fallait pas que Romain aille voir les équipes avec son guide et leur dise qu’il fallait faire comme ça ou comme ça.
Au contraire, il faut rejoindre une ou deux équipes pour faire des projets avec elles, montrer la valeur qu’il peut apporter, identifier les complexités organisationnelles et les éventuels ambassadeurs de l’UX Writing, des gens qui sont assez ouverts ou enclins à cette compétence et qui pourront alors être formés à ça.
Au départ, ça devait être 2-3 projets, pour avoir des retours d’expérience. Pour une page, lancer des AB tests sur le wording, pour comparer l’avant et l’après, et justifier que les recommandations ont fonctionné.
Le travail initial de Romain sur ces premiers projets servait aussi à voir comment l’UX Writing intervenait dans un process de design, en amont, et comment ça fait gagner du temps à tout le monde.
Finalement, il n’a pas fait que 2-3 projets. Il a fait 6 mois de projets parce que ça fonctionnait tellement bien que tout le monde voulait travailler avec lui. Mais à un moment, j’ai dû lui mettre un stop car on s’éloignait du cadre initial qui était de former.
Il a montré sa valeur dans l’entreprise. Mais l’objectif n’était pas que l’entreprise repose sur une seule personne. L’objectif était que tout le monde monte un peu en compétences sur le wording, qu’on comprenne que c’est un vrai métier et qu’on sache détecter en amont quand il y a besoin de faire intervenir un expert ou qu’on ait les bons réflexes pour y répondre.
Donc, après 6 mois de projets, on a dû stopper. On a terminé les projets en cours, pour se remettre sur la formation. On a écrit tout un programme de formation. Aujourd’hui, il a terminé et il a commencé à former le collectif UX/UI et les business owner.
La prochaine étape sera de former toutes les personnes du digital.
En quoi consiste la formation ? Comment déroule-t-elle ?
Ça dépend des publics. Certains vont vouloir aller dans le détail, quand d’autres vont être juste là pour comprendre ce que c’est l’UX Writing.
Il y a un socle d’une heure où Romain explique son métier. Il explique comment il travaille, quelle est la valeur de son métier, quand est-ce qu’on doit le faire intervenir. Il met en situation avec des petits jeux. Il fait des comparatifs avec l’UX Writing et sans. Ce sont des choses toutes simples qui permettent de comprendre la valeur. Il sensibilise aussi aux bonnes pratiques.
Pour des personnes qui ont besoin d’être formées plus en détails, comme les designers, il y a un deuxième module de deux heures. Romain présente le guide de bonnes pratiques en détail, avec toutes les guidelines d’écriture. Il met en place beaucoup d’exercices pratiques, comme retravailler des textes de certains écrans.
Donc, sur trois heures, il y a une heure de sensibilisation, une heure de théorie sur le guide et comment il peut être utilisé, et une heure à une heure et demie de cas pratiques.
Tu sens qu’il y a un intérêt des équipes de monter en compétences sur l’UX Writing ?
Oui, complètement. Parce qu’aujourd’hui, quand il y a un problème, on demande à Romain de travailler avec nous sur ce sujet.
Et maintenant, dans la majorité des cas, le collectif d’UX/UI a déjà toutes les cartes en main pour y répondre.
Dans la plupart des organisations, on se dit souvent que le wording est une dernière étape. On se dit « ce n’est pas grave, on repassera sur le wording ». Mais ce n’est pas vrai du tout.
Ça peut cacher plein de choses. Souvent, quand on dit ça, c’est qu’on n’est peut-être pas au clair sur le fond. Parfois, on pense que le wording va permettre de tout corriger. Alors qu’en fait, c’est l’offre qu’on veut pousser ou c’est la promesse utilisateur qui n’est pas claire. Du coup, tu peux vouloir écrire les meilleurs wording que tu veux, si pour toi ce n’est pas clair, ça le sera encore moins pour l’utilisateur.
Donc le rôle de Romain a été de se rendre compte de ce genre de problèmes. Les formations permettent aussi de rendre compte de ça.
L’UX writing, ce n’est pas une touche finale qu’on vient ajouter, c’est un état d’esprit qu’il faut avoir pendant toutes les étapes de conception d’un projet.
Effectivement, lorsqu’à des moments du projet, il faut définir un wording très fin, très précis, on va s’adresser à un spécialiste. Mais il y a peut-être des moments très en amont, quand, par exemple, je bosse sur un outil de simulation, que je travaille sur un arbre de décision ou si je travaille sur un chatbot, pour comprendre la manière dont je vais poser les questions, on n’a pas nécessairement besoin d’un UX writer pour ça.
Il faut se poser les bonnes questions et ne pas faire ça uniquement orienté par les techniques. Il faut plutôt se mettre à la place de l’utilisateur.
Est-ce que Romain a travaillé avec d’autres métiers que le directeur de la charte et les designers ?
Il a intégré différentes feature teams. Il a travaillé avec les business owners et les product owners de chacune d’elles. Il a travaillé avec un peu tout le monde. Il a confirmé ce qu’on avait constaté : le wording n’était pas cohérent, assez aléatoire. C’était en fonction des affinités : un UX peut avoir beaucoup d’affinités avec les mots parce qu’auparavant il a été concepteur rédacteur, un business owener peut aimer se préoccuper des wording parce qu’avant il bossait à la com’ ou au marketing. Ça dépend vraiment.
Et c’est pour ça que les formations n’étaient pas exclusivement réservées à une seule expertise. On a la conviction que toute l’organisation doit monter en compétences dessus et que les ambassadeurs de l’UX writing ne sont pas forcément au sein d’une expertise. Un front-end qui a une appétence pour les mots peut être référent de son équipe.
Ce n’est pas un rôle qui doit uniquement être délégué. L’équipe doit réfléchir ensemble.
C’est un énorme travail transversal entre les différentes équipes que Romain a dû mener !
Oui. C’est aussi pour ça qu’on veut identifier des ambassadeurs. Si une personne travaille dessus ou est responsable au sein d’une équipe, son job est aussi de faire le lien avec toutes les autres équipes.
Par exemple, si je travaille sur une fiche produit, il faut que je fasse le lien avec l’équipe Panier pour être sûr que l’expression d’une date de délivrance est la même. Pour éviter d’avoir « livraison dans trois jours » sur la fiche produit et livraison le dimanche 12 décembre dans le panier.
On avait conscience de ce genre d’incohérences, mais on n’arrivait pas à résoudre ces irritants. Grâce à Romain, on a créé les passerelles et on a sensibilisé tout le monde pour y répondre.
Le rôle des ambassadeurs est donc de s’occuper de cette transversalité et cette cohérence avec les autres équipes. Ont-ils d’autres rôles ?
Le fait d’avoir un ambassadeur et d’avoir réalisé les formations, ça veut dire que l’UX writing existe. Ça aide déjà pas mal.
Là, on est vraiment dans une phase d’inception (rires) : faire comprendre aux gens que ça existe, que c’est utile, ce que ça peut leur apporter, et les convaincre.
Avant, certains parlaient d’ateliers wording, ou des choses comme ça. Maintenant, ils ont accès à la méthodologie. Et s’il y a un ambassadeur au sein de l’équipe, il va mieux se former, il aura les bons réflexes.
Ces ambassadeurs ont effectivement un rôle de transversalité. C’est d’ailleurs l’un des rôles des UX et UI : s’assurer de la transversalité au sein des différentes équipes, pour qu’une interface soit faite en prenant en compte les autres interfaces des autres équipes.
Avec du recul, qu’est-ce que ça a apporté d’avoir un UX writer ? Qu’est-ce que tout ce travail de sensibilisation et de formation a apporté aux équipes ? Qu’est-ce que ça a changé ?
Je pense que ça apporte énormément pour l’utilisateur final.
C’est vrai que j’ai beaucoup parlé de complexité organisationnelle. Mais s’il y a un truc à retenir, c’est que si le contenu n’est pas clair pour l’utilisateur qui vient sur le site Internet, ça n’ira pas.
L’UX writer homogénéise tous les wording du site, pour éviter d’avoir 15 mots qui désignent un même élément.
Parfois, on peut aussi être plus clair, plus simple.
Si je reviens sur l’exemple de la date de délivrance : si on affiche une date écrite en 09/12/2020, plutôt que de dire « livré ce dimanche 9 décembre », l’effort cognitif qui est fait par les utilisateurs est beaucoup plus poussé.
L’expertise d’un UX writer permet vraiment de simplifier la compréhension des interfaces et des parcours digitaux qu’on met à disposition des utilisateurs. Pour moi, ça, c’est hyper important.
Aussi, en termes d’organisation interne, ça permet d’aligner tout le monde. C’est un gain de temps énorme. En définissant des guidelines et des règles à suivre, on économise énormément de temps parce qu’on ne se casse plus la tête à inventer des nouvelles choses.
Avant, il n’y avait pas de référentiel. Mais aujourd’hui, maintenant qu’on a des règles, ça n’amuse personne de recréer des choses. On est tous dans une démarche d’intelligence collective. On va pouvoir se baser dessus et gagner énormément de temps.
Oui, complètement. D’ailleurs, Sophie Ianiro, qui est UX writer chez Doctolib, disait dans un précédent épisode de podcast qu’il n’y a plus de débat. Il n’y plus d’interrogations, on sait comment écrire les choses.
Oui, c’est sûr.
Romain s’occupe du micro wording. Ce n’est pas la rédaction web pour expliquer une offre ou quelque chose comme ça. C’est vraiment accompagner les principes de navigation avec des wording courts, clairs, concis et passer sur les grandes thématiques qu’on va aborder pour qu’elles soient toujours expliquées de la même manière.
Effectivement, on ne se pose plus de questions. Est-ce qu’on met une virgule ou un point à un prix, est-ce qu’il y a un espace avant un point d’exclamation, etc. Même des règles de grammaire et d’orthographe simples, c’est important de repasser dessus, parce qu’en fait, on se rend compte qu’on n’a pas toujours la maturité et le même point de vue.
Et on ne se rappelle plus forcément certains cours de français du collège et du lycée (rires).
Aujourd’hui, vous en êtes où avec Romain ? Quelle est sa mission actuelle ?
Il a commencé à former les UX et UI. Après, il va devoir former toutes les autres expertises qu’on a identifié. Ça va lui prendre un bon moment.
Il continue à accompagner des gros projets. On ne veut pas spécialement qu’il aille sur des projets qui sont juste de la mise à jour par exemple. Parce que là, les UX et UI qui ont été formés à ça vont pouvoir recommencer à répondre à leurs problématiques. Ils pourront toujours faire appel à Romain s’ils ont des questions.
Mais le but, c’est de monter rapidement en compétences.
Après, on réfléchit s’il faut éventuellement accompagner d’autres projets, parce que là, on bosse sur le site Web et l’application mobile. Mais il y aussi tous les outils collaborateurs et d’autres plateformes où il y a des besoins.
Je suis convaincu que, à partir du moment où l’entreprise a un niveau assez mature sur le design, on peut amener des expertises complémentaires, dont fait partie l’UX writing.
Il va donc travailler avec d’autres équipes sur d’autres projets. Est-ce qu’il y a assez d’un seul UX writer ?
Non, effectivement. C’est pour ça qu’on veut très vite accélérer sur la formation, pour que ces compétences soient vraiment maîtrisées par beaucoup de monde.
Et après, même si tout le monde comprend ce qu’est l’expérience utilisateur, on aura toujours besoin d’experts sur certains sujets un peu plus stratégiques ou un peu plus pointus, précis.
Ce sera à Romain de voir s’il doit se staffer avec d’autres personnes.
Il y a certainement une complémentarité à avoir avec les designers, avec les rédacteurs web. C’est ça aussi qui est important maintenant : comment il arrive à se mailler avec les gens qui rédigent les contenus, pour qu’il y ait une homogénéité. Mais avec le guide qu’il a construit avec Christian, je pense que ça devrait être assez simple.
Selon toi, quelles sont les clés de succès pour réussir l’intégration d’un UX writer ?
Déjà, il faut réussir à évaluer le niveau de maturité de l’organisation avant de faire appel à quelqu’un. Ça paraît bête, mais je ne pense pas qu’il faille internaliser une compétence juste parce qu’elle est tendance et parce qu’on a vu qu’un concurrent le faisait. Si on n’a pas préparé un terrain fertile pour lui, même si c’est le meilleur, il ne pourra pas faire grand-chose.
Et ensuite, c’est de faire un POC. Je trouve que ça a bien marché. On a su choisir les batailles qu’on voulait mener. Ça a permis à Romain d’avoir un scope assez défini. Sinon sur un site qui est immense, il n’aurait pas su par quoi commencer. On lui a juste dit « tu es mandaté sur cette descente produit, mais s’il y a d’autres sujets où tu penses que c’est important d’aller, tu peux y aller. Mais moi, je serai là pour te rappeler que ton scope initial, c’était ça, et c’était de faire la formation ».
Donc, c’est vraiment important de définir la mission et de définir, comme dans toute démarche projet, des indicateurs de succès.
Ce sera un succès s’il a fait autant de projets, s’il a réussi à sensibiliser autant de personnes, s’il a dispensé la formation à tel ou tel collectif.
Est-ce que tu aurais un ou plusieurs conseils à donner à un UX writer pour intégrer une équipe de designers déjà bien en place ?
Ça dépend comment ils sont structurés. Mais il faut qu’il il impose une période d’immersion.
S’ils veulent vraiment internaliser cette compétence ou monter en compétences sur ce sujet, ils doivent accepter d’investir du temps. Ça ne va pas se faire du jour au lendemain. Parce que sinon, il peut très bien faire des recommandations de wording en surface, mais s’il ne comprend pas la complexité organisationnelle, il ne pourra pas s’insérer dans les bons process pour faire bouger les choses.
Il ne faut pas s’attendre à ce que soit un consultant qui arrive et qui dise « vous changez tout ça ». Ça va peut-être résoudre le problème dans le mois, mais lorsqu’on va sortir des nouvelles pages, on va voir le même travers organisationnel.
Il faut vraiment réussir à s’insérer dans la complexité. Et ça nécessite du temps d’immersion. Il faut que le client en soit conscient.
Et d’un point de vue personnel, qu’est-ce que ça a apporté de bosser avec un UX writer ?
Déjà, ça m’a permis mettre en pratique. Je voulais m’assurer que la compétence ne soit pas bancale avant de la mettre à disposition des autres équipes. Et donc ça m’a permis d’avoir un niveau d’expertise encore plus poussé dans ce que je fais au quotidien. Aujourd’hui, en tant que lead UX, sur des phases de wording, j’ai cette corde à mon arc. Pour moi, c’est une compétence qu’il faut avoir.
Donc, je trouve qu’en tant que lead, c’est important de bien comprendre ces nouveaux métiers, parce que c’est un domaine qui évolue hyper vite. C’est récent, mais il y a déjà des expertises spécifiques qui sont en train de naître et il faut les suivre de très près.
Quand j’ai commencé, le métier d’UX était assez généraliste. Mais quand on voit la diversité des tâches qu’il y a à l’intérieur, c’est naturel qu’on se spécialise. Je suis convaincu qu’on va avoir des UX prototypage, des UX writers, des chercheurs. Alors qu’avant, on avait plutôt des UX/UI, voire même / front-end.
On voit que les offres un peu mouton à cinq pattes sont en train de disparaître au profit d’offres hyper spécialisées. Je pense que c’est important de maîtriser ça et de travailler avec ces compétences au quotidien pour comprendre comment l’UX accompagne la transformation digitale des entreprises.
Top ! As-tu des choses à ajouter, des éléments qu’on n’aurait pas abordés ?
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a des gens dont c’est le métier. Ce sont des experts et c’est bien de les avoir. Et après, si on veut aboutir à une expérience utilisateur claire et simple, c’est le collectif qui doit travailler ensemble.
Se reposer uniquement sur des compétences et se dire que c’est l’UX ou l’UI qui va gérer telle chose, un autre qui va gérer telle autre chose, l’UX writer qui gère le wording, etc., pour moi, il faut oublier si on veut vraiment réussir. C’est la force du collectif et la force de l’équipe. On répète ça tous les jours avec le lead UI.
On comprend qu’il y a un enjeu, maintenant tout le monde doit se mettre en marche pour y arriver. Effectivement, il y a des spécialistes qui apportent leurs compétences, mais tout le monde doit comprendre ce que c’est.
C’était hyper intéressant d’avoir un retour… J’allais dire « de l’autre côté ». Mais non, justement, c’est la force du collectif, comme tu le dis.
Si on veut échanger avec toi sur ce sujet, où peut-on te contacter ou suivre ?
Sur LinkedIn, vous pouvez me retrouver : Paul Tanasack.
Je n’ai pas spécialement d’autres comptes sociaux pour l’instant.
Ça marche. Merci beaucoup !
Merci Apolline, à bientôt.
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